Talleyrand - Le prince immobile by Emmanuel de Waresquiel

Auteur:Emmanuel de Waresquiel [Waresquiel, Emmanuel de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie historique
ISBN: 9782213630939
Éditeur: Fayard
Publié: 2006-10-03T22:00:00+00:00

QUATRIÈME PARTIE

LE POUVOIR

1.« Un 18 Brumaire à l’envers »

La messe est dite. Napoléon n’a plus d’avenir. La nouvelle coalition qui s’est formée contre lui n’a jamais été aussi imposante. Au sud, Wellington, avec une armée de 100 000 hommes, force le passage de la Bidassoa dès le 8 octobre. À l’est, une vague alliée de 220 000 à 230 000 hommes franchit le Rhin dans la seconde quinzaine de décembre. Napoléon n’entrera en campagne, fin janvier, qu’avec 60 000 hommes. Jusqu’alors, la Russie, la Prusse, l’Autriche et l’Angleterre n’ont été en guerre contre lui que tour à tour. Pour la première fois, les quatre grandes puissances européennes sont unies, sans parler des États de second rang. Dans le cercle de ses intimes, Talleyrand n’a pas de mots assez durs pour celui qui est encore le maître de la France. Chez Mme de Vaudémont, chez Mme de Rémusat, devant Pasquier qui est tout de même son préfet de police, il le traite d’homme seul, seul en Europe depuis longtemps et maintenant seul dans son propre pays : « Qu’est-ce que la force et la passion sans conseil, quand la passion reste et que la force s’en va ? Il s’est mis dans le vide. Il n’écoute que ceux qui lui répondent ce qu’il leur dit. » Autour de lui Berthier n’a pas assez d’esprit pour savoir lui dire ce qu’il pense. Daru, l’intendant général de son armée, est un bœuf et ne fait que travailler, Maret est un imbécile, Cambacérès n’a pas assez de courage[1572].

Ce que Charles-Maurice dit n’est pas innocent. Il voit beaucoup de monde, cherche à convaincre ceux qui pourront lui servir plus tard, et avec une infinie prudence, lance quelques pistes nouvelles qui en surprennent plus d’un. Dans le courant du mois de novembre, la comtesse de La Tour du Pin, sur le point de quitter Paris pour rejoindre son mari qui vient d’être nommé préfet à Amiens, le voit chez l’un de leurs amis communs, le comte de Lally, et lui demande des nouvelles de l’empereur : « Oh ! Laissez-moi donc tranquille avec votre empereur. C’est un homme fini. – Comment fini ? fis-je. Que voulez-vous dire ? – Je veux dire, répondit-il, que c’est un homme qui se cachera sous son lit. Je connaissais, ajoute-t-elle, la haine et la rancune de M. de Talleyrand contre Napoléon, mais jamais je ne l’avais entendu s’exprimer avec une telle amertume. Je lui fis mille questions auxquelles il répondit par ces seuls mots : “Il a perdu tout son matériel. Il est à bout. Voilà tout.” » Puis Talleyrand se livre à son petit jeu favori qui consiste à sonder son interlocuteur, et, sans en avoir l’air, à laisser tomber dans la conversation une allusion sur ses intentions. N’oublions pas que le mari de Mme de La Tour du Pin occupe un poste stratégique et appartient à l’élite impériale. « Fouillant dans sa poche, il en tira un papier imprimé en anglais et, tout en mettant deux bûches dans le feu, ajouta : – Tenez, comme vous savez l’anglais, lisez-moi ce passage-là. En même temps, il m’indiqua un assez long article marqué au crayon, à la marge.

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